Déraille et mens.                                                     

Jour 1 

Cher journal, 

Aujourd'hui est un jour particulier, le jour de l'anniversaire de mon diagnostic. Deux ans déjà que le couperet est tombé : bipolaire. Et depuis, ma vie est devenue un combat quotidien. Un combat contre moi-même, contre les montagnes russes de l'humeur, contre l'énergie fluctuante qui me prive parfois de la force d'accomplir les gestes les plus simples. 

Le docteur Blanc m'assure que le traitement finira par me stabiliser, mais j'ai du mal à y croire. Le lithium a ralenti mon cerveau et assombri mon humeur. Je ne suis pas en dépression profonde, mais le simple fait de sortir du lit le matin est une épreuve. La moindre contrariété me terrasse et je dois me battre constamment pour ne pas sombrer dans l'apathie. 

Le diagnostic a été un choc, mais il n'est venu qu'après la crise. Deux mois de travail acharné, sans relâche, sans dormir, sans manger, me sentant invincible, capable de soulever des montagnes. Un dossier en particulier me tenait à cœur : défendre une femme harcelée au travail et lui obtenir un nouveau poste. Le jour où j'ai enfin trouvé une solution, elle a tout simplement refusé. J'étais furieuse, le sentiment d'avoir gaspillé mon temps et mon énergie me rendait folle. 

La nuit suivante, impossible de fermer l'œil. Des scénarii catastrophes tournaient en boucle dans ma tête. Comment avait-elle pu être si stupide ? Et si c'était moi qui avais commis une erreur ? Excédée, je me suis levée et j'ai arpenté l'appartement en long et en large, cherchant désespérément à calmer mon esprit. A quatre heures du matin, incapable de trouver le repos, je me suis même préparée un banana bread pour le petit déjeuner. Le lendemain, épuisée et hagarde, j'ai pris rendez-vous avec ma généraliste, dans l'espoir qu'elle me prescrive des médicaments pour dormir. 

Elle m'a mise en arrêt de travail et m'a donné de légers somnifères, mais la nuit suivante, malgré les médicaments, je n'ai pas fermé l'œil. J'ai senti que je commençais à perdre pied. J'ai appelé les urgences, mais on m'a dit d'attendre le lendemain matin pour retourner voir ma généraliste. Chaque minute me semblait être une heure. Je me languissais du lendemain, n'ayant qu'une envie : dormir ! Mes pensées divaguaient, tournoyaient et bondissaient d'une idée à l'autre. 

Et c'est ainsi que tout a dérapé. Mon envie de dormir s'est transformée en envie d'en finir. Je suis sortie de chez moi et j'ai traîné hagarde dans les rues de Toulouse. Mon meilleur ami a tenté de me joindre à multiples reprises sur mon téléphone. J'ai fini par décrocher et il a compris tout de suite que je partais en vrille. Je n'ai pas réussi à lui dire où je me trouvais et j'ai fini par lui dire que ma vie était inutile et que je voulais en finir avant de jeter mon téléphone dans la Garonne. 

J'ai continué à arpenter les rues à la recherche d'un pont, mais je n'avais pas les idées claires. Je m'imaginais différentes morts et la réaction de mes proches que je voyais mourir aussi. Toutes ces pensées morbides m'envahissaient si bien que je suis tombée nez à nez avec des gendarmes. Ils m'ont demandé de les suivre et c'est ainsi que je me suis retrouvée en clinique psychiatrique. Deux jours après mon hospitalisation, le docteur Blanc m'a annoncé le diagnostic. 

J’ai passé quatre semaines en clinique puis plusieurs mois en hôpital de jour. J’ai repris le boulot à mi-temps thérapeutique. J’ai avancé mais ma vie est devenue triste, fade. J’ai perdu toute exaltation. Je dois tout calculer, ne plus rien improviser. Il faut favoriser la routine soi-disant, mais c’est mortel à souhait, la routine !  

J’ai donc pris une décision radicale : pour fêter ces deux ans de diagnostic, je vais arrêter mon traitement. Je prends le risque de dérailler à nouveau. Mieux vaut une vie écourtée qu’une vie insipide.  

 

Jour 8 

Après une semaine sans médicament, aucune rechute à signaler. Je me sens plutôt bien, même très bien. Libérée du poids des médicaments, je retrouve enfin le goût à la vie. Certes, je ne fais rien de fantastique pour l'instant, mais je me sens plus légère, plus positive. Hier matin, par exemple, en ouvrant les volets de ma chambre, j'ai été saisie par un spectacle magnifique : le soleil se levait sur la Garonne, illuminant l'eau d'une lumière dorée. Avant, j'aurais à peine jeté un œil distrait par la fenêtre. Mais ce matin-là, cette beauté m'a remplie de joie et j'ai décidé de me préparer un banana bread – mon péché mignon, tu l'auras compris. 

Pendant que le gâteau dorait au four, je me suis installée sur le balcon avec ma tasse de café et j'ai commencé à dresser la liste de mes envies : 

  • Faire de la méditation pour compenser l'arrêt des médicaments. 
  • Me faire de nouveaux amis. 
  • Me remettre au sport. 
  • Passer à plein temps au boulot. 
  • Couper les ponts avec les personnes bipolaires de mon entourage. 
  • Partir en voyage. 

J'ai savouré mon banana bread avec délice, puis je me suis rendue au travail. 

Hélas, depuis mon retour, on m'a mise au placard. Fini les dossiers croustillants, on me confie désormais des tâches ingrates : de la paperasse à consigner et à archiver dans des boîtes. Il faut dire qu’officiellement, à la suite de « l’affaire Durant », la femme harcelée, tout le monde, au boulot, a cru à un burn out et je les ai laissés le croire. Personne ne sait que je suis bipolaire mis à part mes proches, quelques connaissances et mon groupe de parole. 

J’ai donc passé une journée très ennuyante et en rentrant j’ai zappé ma séance de méditation. J’ai du mal à me concentrer sur un point en particulier, mes idées fusent, j’ai des pensées parasites. 

  

Jour 10  

Aujourd’hui, j’ai fait le tri dans mon répertoire. J’ai supprimé de mes contacts toutes les personnes du groupe de parole et les quelques connaissances que je m’étais faites à la clinique psychiatrique. Je ne veux plus être en contact avec des bipolaires et échanger sur le traitement ou la maladie. Je veux qu’on me traite comme une personne normale. Pour cela, j’aimerais me faire de nouveaux amis pour repartir à zéro et qu’on n’ait pas d’idée préconçue sur moi.  

Le hic, c’est que je ne sais pas trop comment m’y prendre. Quand je vais à la salle de sport, je fais mes exercices et je repars. Je n'ai jamais l’occasion de parler avec quelqu’un. J’ai donc décidé de m’inscrire sur un chat en ligne. Faute de vrais amis, je vais commencer par m’en faire des virtuels. 

J’ai eu aussi mon rendez-vous mensuel avec le docteur Blanc. Par téléphone. Je ne veux pas qu’elle s’aperçoive que j’ai arrêté les médocs et c’est plus facile à cacher si je ne me la retrouve pas en face. Pour l’instant, elle n’y a vu que du feu. Je ne sais pas pourquoi je maintiens ce lien. Je n’arrive pas encore à couper les ponts. J’aimerais, dans quelques mois, lui avouer et qu’elle se rende compte de son erreur. Je n’ai pas besoin de traitement, je peux gérer toute seule. 

 

Jour 20 

Ça fait déjà dix jours que je n’ai pas écrit. J’ai plein de choses à te raconter mon cher journal. Tout d’abord, j’ai fait la connaissance de Maxime sur le chat en ligne. On a passé plusieurs soirées à discuter et on s’est rendu compte qu’on n'habitait pas trop loin l’un de l’autre. On a donc pris rendez-vous dans un bar pour une première rencontre.  Il m’a tout de suite sorti le grand numéro : restaurant, promenade en bord de Garonne. Il m’a offert une rose achetée à un marchand ambulant. Bref, il a l’air sous le charme. Un bel homme comme lui, ça me paraît suspect qu’il s’intéresse à moi. Il est grand, brun aux yeux vert clair, assez musclé alors que je suis petite, chatain clair, et toute en rondeur. Au vu de ses compliments, et de l’ardeur de nos ébats, il ne fait aucun doute que je lui plais. Je manque cruellement de confiance en moi et ai tendance à me dénigrer. Cette relation me fait le plus grand bien. Pour l’instant, j’essaie de me laisser porter par la situation. Ma libido s’est réveillée et je profite au maximum de Max !  

Hier, au boulot, j’ai été convoquée par mon patron. Il m’a dit vouloir évaluer ma capacité à reprendre à plein temps. Je me suis surpassée pour me « vendre » et je crois bien qu’il a cru à mon speech. Il m’a dit que je reprenais lundi prochain et m’a donné mon nouvel emploi du temps. Je suis sortie rayonnante de mon entretien, si bien que ça a déplu à ma collègue Annie. Quelle jalouse celle-là, une langue de vipère plutôt. Que lui importe que je travaille à mi-temps ou plein temps puisqu’on ne collabore pas directement ensemble !  

Je suis enthousiaste. J’ai l’impression d’être dans une bonne phase : côté boulot tout va bien et côté amour aussi. J’ai même réussi à négocier d’avoir à nouveau des dossiers plus importants à traiter. Je me sens pousser des ailes, une vraie machine! 

 

Jour 30 

Cher journal, il faut que je te raconte ce qui vient de m’arriver. Je n’ai jamais eu aussi honte de ma vie. Ça faisait cinq jours que je n’avais pas de nouvelles de Maxime et je commençai à m’inquiéter. Je lui ai envoyé plusieurs messages qui sont restés sans réponse. J’ai fini par psychoter et à faire tourner tous les scénarii possibles et imaginables dans ma tête : il avait eu un accident, il ne voulait plus me voir et me ghoster, il avait dû partir précipitamment… Bref, toutes sortes d’éventualité. J’étais donc décidé à en avoir le cœur net. Je me suis rendu chez lui mais suis tombé devant l’interphone à me rendre compte que je ne connaissais même pas le numéro auquel sonner ! Je suis rentrée chez moi déterminée à trouver une autre solution. Je suis allé sur son profil Facebook, regardé sa liste d’amis et ai écrit à sa mère : « Bonjour Madame, je suis une amie de Maxime et je n’ai plus de nouvelle de lui depuis quelques jours. Ce n’est pas dans ses habitudes et c’est pourquoi je me suis permise de vous contacter. Pouvez-vous me dire s’il va bien ? ». Le message a été lu dans les minutes qui ont suivi et, dans la demi-heure, Maxime m’a envoyé un message : « Laisse-moi tranquille ainsi que ma famille, je ne veux plus te voir ». J’ai renvoyé un message à sa mère disant : « Désolée de vous avoir dérangé mais votre fils qui m’avait ghostée vient de me donner signe de vie. Bonne continuation ». Quel con**** !!! Je ne vais pas m’en remettre. Jamais je me suis senti autant humiliée alors que c’est lui le lâche qui n’a pas eu la franchise de me quitter avec dignité et respect ! Je n’ai qu’une envie c’est de me pelotonner en boule sur le canapé et pleurer un bon coup. Je vais prévoir de me regarder un film triste ce soir et surtout pas ces comédies romantiques qui nous laisse espérer un mec bien et des amours éternels. 

 

Jour 31 

Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai pensé et retourné en boucle cet épisode avec Maxime. Tous ces bons moments passés ensemble où j’avais l’impression de flotter sur un nuage. Pourquoi n’ai-je rien vu venir ? Que s’est-il passé ? Pourquoi m’avoir jeté sans aucune explication ? C’est peut-être cela le plus douloureux. Et puis cette idée de vengeance. J’aimerais qu’il comprenne que son comportement est lâche et surtout qu’il a perdu un être précieux car non, je ne mérite pas ça. Je me suis relevée dans la nuit pour vérifier son compte Instagram. Je n’y ai plus accès, il m’a bloqué ! Je me suis donc créé un faux compte pour lui envoyer une demande d’amie et le suivre. Mais, à bien y réfléchir, j’ai eu peur que ça paraisse louche et qu’il refuse la demande. J’ai donc inventé le profil d’une fille très belle, Annabelle, en prenant des photos sur le net et pris contact avec le meilleur ami de Maxime qui a plus de cinq cents amis Instagram et qui m’acceptera facilement. Bingo, mon plan a fonctionné ! Le revers de la médaille, c’est que Fred a contacté mon faux profil et la dragouille un peu. Pour l’instant, je laisse faire puisque je n’ai pas encore de plan précis pour me venger. J’ai donc passé la nuit à discuter avec Fred pour me rapprocher de Maxime. Je me sens surexcitée, mon cerveau est en ébullition.  

 

Jour 32. 

Voilà un mois que j’ai mis fin à mon traitement. Un mois que ma vie commence doucement à changer. Je sors de la monotonie et retrouve goût aux aventures. Cette nuit blanche à parler avec Fred doit me mettre la puce à l’oreille. Il faut que je me calme pour éviter de monter en hypomanie. J’ai passé l’auto-questionnaire de Angst et je coche quasiment toutes les cases : moins d’heures de sommeil, davantage d’énergie, de confiance en soi, rapidité de la pensée, attention facilement distraite, etc. 

Je suis à deux doigts de contacter le docteur Blanc mais ce serait admettre qu’elle avait raison. Il ne faudrait pas que cet épisode avec Maxime soit le début d’une nouvelle crise. Je préfère encore mentir quitte à me mentir à moi-même en premier lieu. 

Cela dit, je reste déterminée à me venger de Maxime. Jusqu’alors, j’ai toujours été la petite femme docile et soumise que tout le monde attendait. Désormais, je ne me laisserai plus emmerder par qui que ce soit.  

Fred vient de m’envoyer un message. Il parle déjà de me rencontrer. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir le faire languir et qu’il découvre la supercherie. Il ne faut pas traîner, je viens d’envoyer une demande d’ami à Maxime.  

Cher journal, je reprends ma plume là où je l’ai laissée ce matin pour te raconter mes déboires avec Maxime. Il a répondu dans les trente minutes qui ont suivies ma demande. Il m’a demandée si on se connaissait. Je lui ai répondu que j’étais une amie de Fred qui m’avait beaucoup parlé de lui et que je voulais simplement faire connaissance. Il m’a ouvert les accès à son compte. Je n’en reviens pas. Il a posté des photos où il s’affiche avec une nana qui date du lendemain où il ne m’a plus donné de nouvelle. En légende, il disait “Un an déjà”. Ils sont tous les deux enlacés et on devine derrière eux la plage et une mer turquoise. Elle est grande, longiligne, blonde : une vraie bimbo. Je suis sous le choc !  

 

Jour 35 

Malgré mon état de sidération, au travail je fais bonne figure. D’ailleurs, le boulot, y a que ça qui me permet un peu de ne pas penser à Maxime et à sa greluche. Il n’y a qu’Annie pour me trouver la mine fatiguée. Celle-là vraiment, c’est un radar à potins. Mais je ne lui donnerai pas le loisir de lui raconter quoi que ce soit. Imagine qu’elle soit au courant ! Je serai la risée de tout le service. Je me suis faite avoir comme une débutante. 

Je travaille sur le dossier d’un homme, Monsieur Duchesne, contrôleur ferroviaire, qui conteste un licenciement abusif. Il s’est fait pincer entrain de forniquer avec une passagère dans les toilettes du TGV 35678. Or, il s’avère que cette dernière n’était rien d’autre que sa maîtresse qui était là pour assouvir un de ses fantasmes. Je dois plaider en faveur du contrôleur qui a des circonstances atténuantes. Mais depuis quelques jours, son cas me fait gerber car ça me fait penser à Maxime et au fait que j’ai été sa maîtresse sans même le savoir. L’ironie dans l’histoire, c’est que je me sens encore, et malgré tout, très amoureuse de lui, ça en devient obsédant. 

 

Jour 40 

La cata ! Il n’y a pas d’autre mot. Maxime a fini par me démasquer. Je t’explique. Fred m’a donné rendez-vous dans un café. Cette fois-ci, je ne pouvais plus reculer et puis il ne m’avait jamais vu. Je me suis donc dit qu’en mettant une perruque blonde et des fringues qui collaient avec le personnage de Bimbo que j’avais créé, cela pouvait passer. Sauf, qu’une fois arrivée au bar, telle ne fut pas ma surprise de voir que Fred était accompagné de Maxime. Je n’ai pas eu le temps de faire demi-tour que ce dernier s’est levé de sa chaise et a commencé à me crier dessus : “Tu es une grande malade, toi ! Espèce de foldingue, sale bipolaire, tu n’as pas honte de m’espionner comme tu le fais. Retourne donc dans ta petite vie de merde et laisse-moi tranquille. Allez, casse-toi la folle.” Pendant qu’il m’aboyait dessus, Fred qui filmait la scène avec son téléphone, a tiré sur ma perruque pour dévoiler mon vrai visage. Je leur ai tourné le dos et me suis enfuis. J’ai couru tant que j’ai pu, et puis, à bout de souffle, ai déambulé dans les rues de Toulouse, hagarde. Je suis tombée nez à nez avec ma collègue Annie. Cela ne pouvait pas mieux tomber ! Elle m’a demandé si tout allait bien, m’a dévisagée de la tête aux pieds jusqu’çà ce que je lui vomisse à la figure : “Laisse-moi tranquille, casse-toi la casse couille ! Et j’ai tracé ma route. J’ai réussi à retrouver le chemin de la maison. Une fois rentrée, mon premier réflexe a été de m’avachir sur le canapé de fermer mes yeux. La scène de Maxime me criant dessus tournait en boucle dans ma tête si bien que pour m’extraire de ce cauchemar, j’ai consulté mon téléphone par automatisme. Et j’ai scrollé. Sur les profils Instagram de Fred et Maxime, tournait en boucle la vidéo de mon humiliation. Au vu du nombre de followers qu’ils ont tous les deux, elle va vite devenir virale. Ce n’est plus de la honte mais surtout une rage folle qui s’empare de moi. 

 

Jour 41 

Malgré ma nuit blanche et mon état psychique perturbé par ce qui vient de m’arriver, je suis allée bosser. En rentrant dans le hall, j’ai vu Annie qui partait en courant vers le bureau du chef. Il en est sorti directement et s’est avancé vers moi : “Madame, veuillez me suivre, s’il vous plait”. Je me suis exécutée. Sur le chemin, j’ai croisé Annie qui avait la tête baissée, le regard de biais et un rictus évocateur. Quelle Pouffiasse ! Le chef m’a déclaré avoir visionné la vidéo qui tournait sur moi et que déjà quelques clients s’étaient manifestés pour que leurs dossiers soient suivis par d’autres employés. Il m’a demandé de poser tous les jours de congé que j’avais à disposition. Il ne m’a pas laissé le choix. C'est juste le temps que l’histoire se tasse. Il m’a prié de remettre le dossier Duchesne à Annie. Une fois sortie de son bureau, j’ai rejoint le mien, ai récupéré le dossier concerné et ai photocopié les pages qui m’intéressaient. Un plan commençait à germer dans ma tête. 

Voilà quelques heures que je suis rentrée à la maison et que je fomente ma vengeance. J’ai prévu de tendre un piège à Maxime. Je vais envoyer un message à sa mère pour le menacer de poursuites judiciaires à la suite de la publication de la vidéo. Je vais proposer un lieu de rendez-vous pour négocier un arrangement. S’il mord à l’hameçon, quand il me retrouvera dans un bar, je le droguerai. Je n’aurai plus qu’à l’inciter à me suivre dans une fourgonnette louée pour l’occasion et l’attacherai. Ensuite, je l’amènerai sur une départementale qui longe la voie ferrée entre Toulouse et Paris. D’après le document de Monsieur Duchesne, le train au départ de 5H54 à Toulouse passe à 7h03 au croisement des départementales que j’ai repérées. Donc, à 3H30, j’attacherai Maxime aux rails de ce fameux croisement. Je regagnerai ensuite Toulouse pour prendre le train. Quelle jubilation d’assister en direct à sa mort ! J’imagine déjà les morceaux de chair collés à la vitre du train avec délectation. 

 

Jour 42 

5h. Encore une nuit blanche ! Mon plan fonctionne ! Hier soir, j’ai rencontré Maxime dans un bar. Le plus dur a été de le convaincre de prendre un verre d’alcool. Celui de l’amitié ! Ah ah ! J’ai réussi à y glisser du GHB comme prévu. Cela étant, tout est allé comme sur des roulettes. Il m’a suivi volontiers dans la fourgonnette. J’en ai même profité pour l’embrasser et le tripoter en guise de dernier aurevoir. Il a fini par s’endormir et c’est là que je l’ai attaché et bâillonné. Voilà, je suis au croisement des deux départementales. Le plus dur a été d’attacher Maxime aux rails. Il n’arrêtait pas de gigoter. J’ai pris le temps de lui raconter en détail mon plan en lisant, avec satisfaction, dans ses yeux toute l’horreur que cela suscitait chez lui. 

6H Me voilà installée dans le train et Maxime attaché aux rails. Dans un peu plus d’une heure, tout sera fini. Je serai délivrée. Délivrée de quoi déjà ? Ne suis-je pas allée trop loin ? Une boule d’angoisse m’envahit. Je suis une criminelle en devenir et je compte prendre la fuite. Une fois le train arrivé à Paris, je prendrai un vol pour Reykjavik. J’ai toujours rêvé d’aller en Islande. Plus rien alors ne pourra m’atteindre : j’aurai accompli mon plus grand rêve. 

 

GAZETTE TOULOUSAINE 

“Ce matin le train Toulouse-Paris a déraillé à 6h37. L’origine de ce déraillement est encore inconnue. Aucune victime n’est à déplorer. En revanche, ce déraillement a sauvé la vie d’une personne qui a été retrouvé attaché aux rails de la voie ferrée. A quelques minutes près, il aurait été écrasé. La suspecte, qui figurait parmi les passagers du train a été interpellée et hospitalisée en clinique psychiatrique en attendant d’en savoir plus sur cette tentative de meurtre qui reste assez mystérieuse. Ce qui est sûr, c’est que cette femme a complètement déraillé !”