Nouvelle : Confinement 2.0
Dans deux jours, Naïs pourra sortir. Elle fera partie de la première vague du déconfinement. Elle a hâte. La première chose qu’elle fera, c’est de rencontrer Félix. Cela fait des mois qu’ils échangent des messages. Elle a fait sa connaissance sur un site de rencontre.
Dès le début du confinement, pour combler sa solitude de célibataire, elle s’est lancée dans l’aventure, plus pour occuper les longues journées s’étirant à n’en plus finir que pour trouver l’âme sœur. En effet, autant elle vivait bien sa vie de célibataire, autant se retrouver enfermée en permanence chez elle lui semblait bien difficile. Plus de sorties entre copines, de shopping, de visites de musée, de cinémas, de concerts, de balades en nature. Et enfin, ce qui lui manquait le plus, c’était le lien social. Même si elle était en contact par visioconférence, par messages ou par téléphone avec les amis et la famille, il lui manquait de ne plus les voir, les toucher, les embrasser et leur parler en vrai !
Elle s’est donc lancée sur le site de rencontre du moment sur les conseils de sa copine Claudia. Tout d’abord, créer son profil en choisissant une photo ou deux qui mettent en valeur le visage, deux beaux selfies quoi. Ensuite une photo de plain-pied pour montrer la silhouette ou ne pas tromper sur la marchandise. Puis, rédiger un court texte pour se présenter et dire ce qu’on cherche. Généralement, les filles mettent toujours qu’elles sont à la recherche d’une rencontre sérieuse. Mais pour Naïs, sérieux, ça veut dire quoi ? Elle n’avait pas envie de s’ennuyer dans sa future vie de couple. Elle trouverait une autre formule : durable ? Recherche l’Amour ? … Bref, il fallait d’abord qu’elle se présente. Pour cela, elle avait posté sur Facebook un message à l’attention de ses amis pour qu’ils la définissent. Il en ressort qu’elle est sensible, douce, passionnée et courageuse. Après de nombreuses réflexions, elle écrit l’annonce suivante :« Douce, sensible, passionnée par la vie, je cherche à la partager avec celui qui saura être doux, attentionné et aussi passionné que moi ».
Et c’est ainsi qu’a débuté le laborieux passage en revue du « catalogue » où l’on switche à gauche ou à droite en fonction du profil de la personne. Une heure après son inscription, Nais a déjà cinq hommes dans ses coups de cœur : Fabio, Alexandre, Thomas, Julien et Félix.
C’est Fabio qui a commencé par la contacter en premier. C’est un beau brun ténébreux si bien qu’elle s’est demandé comment un si bel homme pouvait s’intéresser à elle. En effet, Naïs a une silhouette normale, les cheveux courts, poivre et sel, depuis qu’elle a dépassé la quarantaine, les yeux vert foncé pour qui s’approche assez près pour le remarquer et un visage fin sans toutefois être magnifique. Fabio a engagé de suite la conversation en la couvrant de compliments. Elle en a été flattée. Elle qui a si peu confiance en elle, est toujours touchée voire mal à l’aise avec les compliments. Au fil des échanges, elle apprend que Fabio est médecin dans l’humanitaire et veuf depuis deux ans. Il a déménagé depuis peu et est basé à Lyon à plus de cinq cents kilomètres de Toulouse. Un vrai héros aux yeux de Naïs et puis peu importe la distance pour un homme qui a l’habitude de voyager. Mais c’est trop beau pour être vrai si bien qu’elle téléphone à Claudia pour lui raconter. Claudia, plus aguerrie qu’elle, sent qu’il faut se méfier. Beaucoup de faux profils existent notamment des « brouteurs ». Des hommes, généralement basés en Afrique, qui volent les photos des gens sur internet pour se faire passer pour eux. Ils essayent ensuite d’extorquer de l’argent à des proies faciles sur les sites de rencontre. Combien de femmes seules rêvent à un bel homme, plutôt aisé ? Le fait qu’il soit veuf venant ajouter la touche de compassion nécessaire pour être facilement amoureuse. Après les quelques conseils de Claudia, Naïs interroge un peu plus Fabio qui a essayé d’esquiver les questions si bien qu’il a fini par ne plus répondre du tout. Claudia avait vu juste. Naïs a été un peu déçue et blessée d’être tombée dans le panneau. Pour qui se prenait-elle de croire que le prince charmant avait sonné à sa porte ? L’homme parfait n’existe pas, tout le monde le sait. Et puis, s’il existait, on s’ennuierait avec !
Et voilà next : Alexandre. Le grand !!! C’est comme ça qu’il se présentait, ce qui annonçait un égo démesuré. Ce n’était pas un bon point mais il faut avouer que sa photo était plutôt alléchante. Un mélange de Brad Pitt et de Robert Redford. Alexandre s’est avéré fort sympathique et très charmeur. Sa répartie n’était pas pour déplaire à Naïs. Très vite, ils ont décidé d’échanger les numéros de téléphone. Quand il l’a appelé, Naïs a été agréablement surprise par sa voix suave et sexy. Il est arrivé au bout de cinq minutes à l’enjôler si bien qu’elle s’est laissé guider… Il l’a conduit sur un chemin qu’elle n’aurait jamais soupçonné. En effet, il lui a demandé de se caresser et, contre toutes attentes, elle est parvenue à jouir. Jamais elle n’aurait cru atteindre l’orgasme grâce à la voix langoureuse d’un homme au téléphone. Le lendemain, elle s’est précipitée pour appeler Claudia et lui raconter cette aventure. Après une bonne rigolade, elles ont convenu que Naïs lui enverrait la photo d’Alexandre. Quelle n’a pas été la surprise de Claudia ! Celle-ci a reconnu cet homme et raconte à Naïs qu’elle avait réussi à le démasquer, il y avait quelques temps de cela. Elle aussi avait eu affaire à lui même si leurs échanges ne s’étaient limités qu’à des messages sur le site. Il avait fini par lui avouer que ce n’était pas sa vraie photo et lui avait envoyé la sienne par message. Il avait un bec de lièvre, le front haut et dégarni, et de petits yeux. Naïs est horrifiée en pensant au plaisir qu’elle avait éprouvé la veille. Mais très vite, elle a de la compassion pour cet homme qui se voyait obliger de mentir sur son identité pour avoir une chance de parler à une femme sur le site. Au moins, avait-elle assouvi son besoin pour un soir. Après tout, qui était-elle pour juger ? Ces sites de rencontre ne reflétaient-ils pas la misère sentimentale ? Naïs, elle-même, n’était-elle pas malhonnête envers ces hommes qu’elle voyait avant tout comme un passe-temps ?
Comme à son habitude, elle évite de trop réfléchir et décide de passer à Thomas. Brun, plutôt mignon, cinq ans de moins qu’elle. Il commence par le classique: «Bjr, sa va?» Pour Naïs, une première accroche qui débute mal: la faute d’orthographe et le langage sms… Mais elle se raisonne et se dit qu’il faut attendre la suite. Elle lui répond :
« - Tout va bien pour moi et toi ?
- La même ! Chez toi ?
- Oui confinée, dit-elle (Réponse classique. Depuis le début du confinement la société était divisée entre ceux qui continuaient à travailler et ceux qui restaient chez eux). Après les politesses de base vient la question de la position sociale:
«- Keske tu fé?». Oh là là, quelle horreur !!! pense Naïs
-Je suis prof de français
- Dsl pr lé fotes.
- C’est vrai que tu en fais beaucoup ! J’ai du mal à te lire.
- Ah ok. Keske tu cherche ici?
- Un homme qui ait la même complicité intellectuelle que moi et je crois que ça ne va pas le faire entre nous. Je suis désolée. Bonne continuation !
- Salope !»
Et voilà, Naïs a été un peu trop directe mais sa franchise est légendaire et elle n’a pas pu laisser passer un tel fossé culturel entre elle et lui.
Et voilà, next ! Il est temps de passer à Julien, l’échange avec Thomas a été fulgurant rigole-t-elle.
Ce qui intrigue d’abord Naïs ce sont certaines photos de Julien qui sont floutées. Elles sont privées. On y a accès que si on en fait la demande. Bref, elle sera à temps de le faire si leur échange est fructueux. Encore un homme qui est à son goût. Il faut dire que cet aspect catalogue de photos, la pousse à choisir d’abord sur le physique, comme la plupart des personnes sûrement. Dans la rue ou la vie de tous les jours, une personne plus banale attirerait peut-être son attention alors que là, elle ne lui donne aucune chance… De même, sur ces sites, on s’impose des critères que l’on ne regarderait pas au quotidien: avec ou sans enfant, avec ou sans chien ou chat, mesurant plus d’un mètre quatre-vingt, fumeur ou non fumeur, etc. Les critères de Naïs se résument à un homme qui ne fait pas beaucoup de fautes d’orthographe et surtout qui soit plus grand qu’elle. En effet, le père de ses enfants mesurait deux centimètres de plus qu’elle et, pendant quinze ans, elle s’était empêchait de porter des talons de peur de paraître plus grande que lui. Il faut dire que les préjugés ont la vie dure. Elle faisait partie des 70% de femmes qui estimaient qu’avoir un partenaire plus petit qu’elle était inenvisageable.
Julien a l’air d’un homme cultivé et très charmeur. Naïs commence à s’emballer. Enfin, un homme qui a l’air bien et avec qui elle s’entend. Peu à peu, il aborde des sujets plus intimes. Ça ne gêne pas Naïs qui est plutôt ouverte d’esprit. Dans une relation, après tout, le sexe a beaucoup d’importance à ses yeux et il est donc normal d’en discuter avec Julien. La conversation s’échauffe et Julien lui propose d’accéder à ses photos privées. La première est une photo de lui, torse nu avec une serviette autour de la taille. Photo plutôt sensuelle qui n’est pas pour déplaire à Naïs. Par contre, la deuxième photo est celle de son sexe en gros plan. Il tient une canette de coca à côté pour mettre en valeur la taille de ce dernier! Naïs est tellement surprise, d’autant plus qu’elle se doute que cette photo n’est pas destinée seulement à elle mais à toutes les femmes que Julien croise sur ce site. Comment un homme peut penser que la photo de son pénis peut plaire à une femme ? Claudia qu’elle a appelé aussitôt, lui explique que c’est une pratique répandue sur les sites de rencontre et que si elle les avait gardées, elle aurait toutes une collection de sexes en gros plan!
Et voilà, next! Ce n’est pas gagné de tomber sur quelqu’un a peu près « normal » sur un site de rencontre. Pourtant, Naïs pense ne pas demander grand-chose : pas de fautes, grand et sans photo de son sexe ! Ses critères s’affinent au fil de son expérience.
C’est sans trop d’espoir qu’elle décide de contacter Félix, le dernier de la liste, celui qu’elle a mis de côté car il est moins beau que les autres tout en étant à son goût. Sa présentation originale l’a attirée : « Grand, beau brun dont tout le monde rêve, les filles je suis votre prince charmant… Mais attention, je me transforme en crapaud, gentil, doux, attentionné. Alors qui osera m’embrasser ?». Naïs lui adresse le premier message :
« - Bonjour beau brun, je suis Blanche-Neige, oseras-tu me réveiller ?
- Désolé, la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe…
- Sommes-nous donc condamner à ne jamais nous rencontrer ?
- Ce serait fort dommage. Je pense qu’il faudrait casser les règles et passer du conte à la réalité. Je m’appelle Julien et suis enchanté par une telle entrée en matière. Je ne suis pas encore remis de ce songe.
- C’est moi qui suis endormie, je te rappelle ! Mais tu as déjà éveillé ma curiosité.
- J’en suis ravi. C’est tellement rare de croiser une fille comme toi. C’est la première fois que ça m’arrive. J’ai hâte d’en savoir plus sur toi.
- Nous avons tout le temps de nous connaître avec ce confinement qui n’en termine pas.
- De mon côté, je travaille toujours. Je suis dans le social. Je travaille dans un foyer pour adolescents et je peux te dire que je ne chôme pas. C’est même compliqué. Mais bon, parle-moi de toi plutôt.
- Je fais partie des confinés. Je suis prof de français et travaille donc à distance.
- Pas trop dur ce confinement ?
- Contrairement à ce que je pensais, je le vis plutôt bien. Et puis, je ne suis pas seule, je vis avec mes deux ados (Naïs pense qu’il faut assez vite aborder la question des enfants pour voir si l’autre est prêt à les accepter).
- Tant mieux alors. Mon fils est chez sa mère et il me manque beaucoup.
Et c’est ainsi que de fil en aiguille, Félix et Naïs apprennent à se connaître. Tout naturellement, ils échangent leurs numéros de téléphone. Quel plaisir de découvrir la voix de l’autre et surtout de se rendre compte que la conversation file tout naturellement sans qu’un blanc ne s’instaure ! Tous les jours, ils s’écrivent sur WhatsApp, s’envoient des messages audios, des lectures ou des vidéos qui les touchent ou les font rire. Une réelle complicité s’installe. Et puis, les mots doux, les mots tendres s’immiscent dans leurs conversations. Un réel attachement se crée. Tous deux ont hâte de se rencontrer, qu’arrive l’après confinement. Cette relation les fait tenir aussi. C’est plus facile de voir passer le temps, les jours quand on a quelqu’un à qui penser. Naïs ressent les prémisses de sentiments et elle sent que c’est réciproque chez Félix.
Voilà qu’approche la délivrance, la fin du confinement. Naïs et Félix, qui font partie de la première vague, savent que leur rencontre approche. Elle ne sera pas classique puisque bars et restaurants sont encore fermés. Ils pourraient se donner rendez-vous dans un parc mais là aussi l’accès n’est pas encore autorisé. Ils ont donc fait le choix de se rencontrer chez Félix. Jamais Naïs n’aurait accepté un tel rendez-vous dans un autre contexte. En effet, il est conseillé, pour une première, de se voir dans un bar. C’est mieux que dans un restaurant, car un simple verre est vite pris, si la personne ne plaît pas, alors qu’un repas au restaurant peut devenir très long quand la personne en face est ennuyeuse à souhait. Mais Naïs n’a pas toutes ces inquiétudes. Elle sait déjà que Félix lui plaît. Et puis, elle a donné l’adresse de Félix à Claudia, au cas où…
L’heure du rendez-vous arrive. Naïs s’est épilée, maquillée, coiffée mais elle hésite sur sa tenue: jeans-talons aiguilles ou robe-sneakers. Elle téléphone à Claudia qui valide la première tenue. Il faut dire qu’elle adore les talons ! Elle choisit le masque assorti et est fin prête.
Voilà Naïs dans sa voiture qui se gare devant la maison de Félix. Il l’attend devant le pas de sa porte et là tout bascule. L’attention de Naïs se porte que sur un seul détail, mais quel détail d’importance pour elle. Félix fait au moins une tête de moins qu’elle. Naïs a une illumination et se voit plonger dans un conte de fée, Blanche Neige et les sept nains. Félix est-il Atchoum, Joyeux, Prof, Simplet, Timide, Dormeur ou Grincheux ?
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